Interview A1710 -  Rencontre avec Yves Assier de Pompignan - DUGAS

Interview A1710 - Rencontre avec Yves Assier de Pompignan

La distillerie A1710 : un OVNI qui cultive fièrement sa différence
La question primordiale que s’est posé Yves Assier de Pompignan avant de se lancer dans l’aventure n’était pas comment faire du rhum pour appartenir à telle ou telle catégorie, mais comment à partir de la canne à sucre, élaborer un produit exceptionnel, en l’occurrence du rhum ?

Comment vous est venue l’idée d’un tel projet ?

J’ai toujours trouvé l’élaboration du rhum magique.

Le fait qu’à partir d’une herbe : la canne à sucre, transpire toute l’histoire et la culture de l’île de la Martinique me fascine encore aujourd’hui. 

Lorsque j’étais petit nous habitions la commune du François, et j’ai nourri cette fascination en allant observer les machines à vapeur de la distillerie du Simon. Si j’ai mené à bien ma carrière d’entrepreneur, j’avais toujours dans un coin de ma tête cette envie d’élaborer mon propre rhum. J’attendais vraiment que les planètes soient alignées pour réaliser ce projet qui me tient tant à cœur. 

L’idée m’est venue il y a longtemps mais elle butait sur un contexte économique qui n’était pas favorable.En voyageant, j’ai trouvé l’inspiration chez les petits bouilleurs de crus. J’y ai trouvé l’opportunité d’une solution technique que je pouvais transposer à l’élaboration d’eau-de-vie de canne. De plus, le marché du rhum commençait à s’ouvrir. En résumé, le croisement de ces deux étoiles a créé l’étincelle qu’il fallait à A1710. Avec A1710, nous avons réinventé une façon de faire du rhum qui s’était un peu oublié aux Antilles.

A quel moment avez-vous fait le choix de ne pas réellement vous soucier de l’AOC Martinique et de son cahier des charges ? Est-ce dès le choix de l’alambic ?

La question ne s’est pas posée comme ça. Je n’ai pas pensé à l’AOC.
Ma principale, pour ne pas dire mon unique préoccupation était comment produire une qualité exceptionnelle pour répondre à l’émergence d’un marché ultra premium ?
Comment à partir d’une canne je pouvais élaborer un produit d’exception avec un outil de production compatible avec mes moyens ?
J’ai alors construit un process qui pourrait s’apparenter aux rhums d’autrefois, avant que la pression industrielle ne pointe le bout de son nez. C’est seulement une fois que j’avais validé mon process que j’ai regardé si j’étais « AOCable » ou non.
Par ses qualités organoleptiques mon rhum l’était, néanmoins dans les méthodes de fabrication ce n’était pas le cas. La durée de la fermentation, le fait que nous récoltions toute l’année, la distillation en alambic donnent à mes rhums une identité propre. Pour moi, tout commence avec la canne, la qualité de son jus est essentielle c’est pour cela que je préfère parler de « rhum pur jus de canne » plutôt que de « rhum agricole ».

Comment votre projet a-t-il été accueilli par les autres distilleries et acteurs du monde du rhum ?

Ils l’ont accueilli avec surprise et beaucoup de bienveillance. La gentillesse, l’entraide et les conseils ont été les principales réactions. Je fais d’ailleurs partie du CODERUM (association qui réunit tous l’ensemble des distillateurs de rhum de la Martinique). Avec A1710, en toute modestie, il semblerait que j’ai ouvert la porte des rhums blancs premiums.

Concernant l’art de l’assemblage, j’ai lu que votre philosophie était de faire « du meilleur encore » avec du « déjà très bon », pourriez-vous nous donner 1 ou 2 tips afin d’appréhender au mieux la qualité d’un rhum ?

A1710 a commencé à distiller en 2016. C’est grâce à l’assemblage, à ce travail minutieux de chai que la distillerie peut déjà proposer 3 cuvées de rhum vieux voir très vieux. Les fûts de Cognac, les fûts de Bourbon, d’autres fûts de chêne, autant de nuances, de palettes aromatiques avec lesquelles Yves Assier de Pompignan peut jouer pour proposer une gamme de rhums extraordinaires.

Le jus de canne est essentiel. D’ailleurs l’un des avantages de récolter toute l’année versus la campagne qui s’étend de janvier à juin, est de maîtriser la qualité des jus.
C’est grâce à l’assemblage de tous ces batch quotidien, qu’A1710 apporte de la complexité à ses rhums blancs.
Dans cet art, c’est la sensibilité du maître de chai qui fait la différence.
Nous distillons à un degré assez bas (environ 70°), afin de ne pas avoir à ajouter trop d’eau pour diminuer le taux d’alcool.
La réduction est un assemblage, car si la proportion d’eau ajoutée pour réduire le degré d’alcool n’est pas maîtrisée, le rhum peut être totalement déséquilibré.
Pour répondre à la question, les deux critères essentiels afin d’appréhender au mieux la qualité d’un rhum sont le nez et la longueur en bouche.
Le nez car on a 80% de ce qui va se passer après, il va juste nous manquer la sucrosité et l’astringence.
La longueur en bouche, car c’est elle qui détermine au mieux la complexité aromatique et permet de très belles surprises.

« L’assemblage est plus qu’une vertu, c’est une obligation ».

« Nous avons une véritable démarche d’assemblage, qu’il s’agisse de nos rhums blancs ou de nos rhums vieux, notre but est d’avoir un spectre aromatique le plus large possible. »

Soleil de Minuit, Cheval Bondieu et aujourd’hui Bête à Feu, où trouvez-vous l’inspiration pour baptiser vos cuvées ?

Tous ces noms sont issus de mon enfance, ils viennent de mon imaginaire.

Pour Soleil de Minuit, c’est le souvenir d’une belle jeune femme à la chevelure luxuriante rousse qui illumina la soirée dès son entrée dans la pièce.Nuée Ardente rappelle celle qui a jailli de la montagne Pelée et détruit Saint-Pierre.Bête à Feu sont les lucioles qui illuminent les soirées tropicales. Cheval Bondieu est le nom donné au phasme en Martinique. Cet insecte qui ressemble à une branche d’arbre, tellement aérien, tellement léger que seul le bon dieu pourrait la chevaucher. 

En 2017, vous recevez la certification ECOCERT pour certaines de vos parcelles de cannes à sucre, allez-vous passer l’intégralité de vos cultures en bio ? 

Effectivement, nous avons pour objectif d’avoir toutes nos cultures de cannes converties en agriculture biologique d’ici 2023. En ce qui concerne l’année 2021, la production de canne qui nous appartient va nous permettre d’avoir 50% de notre production en bio.

Pourriez-vous nous expliquer la différence majeure, selon vous, entre une canne bio et une non-bio ? Y-aurait-il, in fine, un impact sur ses propriétés organoleptiques ? 

Nous ne cherchons pas « d’étiquette », nous sommes déjà bio dans notre process. 

Pour la petite histoire :

Alors que j’observais deux parcelles de cannes à sucre, l’une en bio et l’autre en agriculture traditionnelle, je constatais qu’in fine les cannes de la parcelle bio étaient plus grosses et avaient l’air plus robustes. J’ai donc interrogé mon père, ingénieur agronome, sur la question.

Voici ce qu’il m’a répondu :

"La canne est une herbe (de la famille des graminées ndlr), donc quand tu mets du désherbant sur une herbe, (pour débarrasser le champ de canne de ses mauvaises herbes ndlr) en l’occurrence la canne, tu l’abimes."

Vous conjuguez à merveille tradition & modernité jusque dans le nom A1710, auriez-vous un petit teasing à nous faire sur une éventuelle prochaine cuvée ?

Nous avons notre premier « futur vieux », qui travaille dans le chai. Nous attendons qu’il nous fasse signe quand il sera prêt.

Le jour où il sera bon, nous déciderons de la date sortie, au grand damne de nos commerciaux (rires)

Chez A1710, ce n’est pas l’enfant roi, mais le rhum roi. C’est lui qui décide de son degré et de son jour de sortie. Pourquoi le standardiser à un degré alors qu’en fonction du batch ou de l’assemblage, il peut être meilleur à 55,7° pour une récolte comme à 54,3° degrés pour une autre.

Pour finir, la petite anecdote qui fait saliver 😉
Au Nouvel An dernier, nous avons tenté un accord Mer & Rhum. Un trait du rhum blanc La Perle Brute dans une huître avec un soupçon de poivre. Un équilibre délicieusement iodé sublimé par les fleurs blanches. 


Yves Assier de Pompignan